Épisode 20, Véronique Reynier

Présentation de Véronique Reynier

J’ai été étudiante en STAPS et en sciences de l’éducation. J’ai effectué un double cursus en Sciences de l’Éducation pour faire de la psychologie. A cette époque il n’était pas possible, avec une formation en STAPS, de rentrer directement en licence de psycho. Du coup je suis passée par les sciences de l’éducation, plus flexibles, qui proposaient alors de nombreux cours communs avec le département de psychologie. 

Parallèlement, j’étais sportive de haut niveau en snowboard. Arrivée en DEA j’ai dû choisir entre la voie sportive et la voie universitaire. J’ai choisi la deuxième mais en travaillant sur la dimension sportive et le snowboard. J’étais encore sous contrat avec une marque, qui était mon sponsor à l’époque, et j’ai pu négocier et transformer ce contrat coureur en un contrat de recherche pour financer mon DEA. 

Ensuite, pendant une année, j’ai été chargée de mission dans différentes structures de recherche. J’ai alors travaillé sur des programmes assez divers, qui allaient de l’évaluation des dispositifs mis en place pour les ayants droit au RMI à des évaluations d’opération de détection et de formation des sportifs de haut niveau. 

L’année suivante j’ai obtenu une bourse doctorale de la Région Rhône-Alpes pour un projet de recherche déposé en collaboration avec deux entreprises spécialisées dans le domaine des sports d’hiver et du tourisme : il s’agissait de travailler sur la question de l’évolution des pratiques sportives de montagne, et plus particulièrement du snowboard.

Après l’obtention de mon doctorat j’ai suivi une trajectoire assez classique en enchaînant pendant 3 années des postes de vacataires, ATER et contractuelle avant d’être recrutée en 1999 aux STAPS de Grenoble. J’ai toujours travaillé en lien avec les formations axées tourisme. Je donne des cours dans les autres filières aussi, mais l’on peut dire que le fil conducteur demeure le tourisme.

Quel était le sujet de votre thèse ?

Ma thèse portait sur les pratiquants des stations de sports d’hiver, et plus particulièrement sur les interactions entre les skieurs et les surfeurs, c’est comme cela qu’on les appelait à l’époque. Il s’agissait de mieux comprendre les différentes formes de recompositions auxquelles donnait lieu le développement de cette nouvelle pratique, de mieux comprendre ce qui se jouait dans le microcosme des stations, jusqu’alors exclusivement tournée vers le ski alpin. J’ai pris comme point de départ l’analyse des significations qu’ils attribuaient à leurs espaces de pratique et des comportements associés, en ayant recours au concept des représentations sociales.

Votre vie personnelle est donc intrinsèquement liée à votre vie professionnelle…

Oui complètement ! Si j’ai choisi de travailler sur les sports de montagne c’est avant tout parce que je venais de ce milieu-là. Ça m’a finalement permis de faire une transition en douceur entre le sport de haut niveau et le monde universitaire. 

Sachant que vous possédez déjà les codes en vigueur chez les pratiquants de snowboard par exemple, est-ce plus facile pour vous ?

Je ne parle jamais de mon histoire personnelle dans le cadre de mes travaux de recherche, mais c’est vrai que cela me sert. Même si la pratique du snowboard a évolué, on retrouve les codes culturels des débuts, la revendication d’une certaine forme de liberté, de marginalité … Ma connaissance du milieu me permet d’avoir une bonne connaissance du contexte, des réseaux et d’être en phase avec les personnes que j’interroge, malgré la différence d’âge en l’occurrence pour cette pratique ! J’ai toujours travaillé sur des pratiques qui me sont familières. Je suis bien consciente des biais liés à l’appartenance à un milieu que l’on étudie mais globalement je perçois cela comme un atout. C’est d’ailleurs peut être particulièrement vrai pour les pratiques de montagne qui se caractérisent par un certain « entre-soi », mais ce ne sont pas les seules !

Quel est votre sujet et/ou votre thématique de recherche ?

Je travaille principalement sur 3 grandes thématiques, qui sont très fortement liées : la compréhension des usages sportifs et touristiques de la montagne et de leurs évolutions ; la transition des territoires de montagne et l’accidentologie et le rapport au risque dans les sports de montagne. 

Dans chacune d’elles je m’intéresse aux individus, à ce qu’ils pensent, à ce qu’ils font, au sens qu’ils donnent à leurs conduites et à leurs environnements. Pour vous donner un exemple, je travaille actuellement pour le projet TranStat (Transitions to Sustainable Ski Tourism in the Alps of Tomorrow) porté par Emmanuelle George du LESSEM et financé dans le cadre du Programme INTERREG Espace Alpin. L’objectif de TranStat est  d’accompagner les stations dans leur transition et de promouvoir de nouveaux modèles, plus durables, de développement économique, social et environnemental en ayant recours à une démarche participative qui associe des scientifiques et un ensemble d’acteurs, économiques, publics, ainsi que les habitants et les touristes. Dans ce projet je me consacre à l’analyse des « gens » : à leurs pratiques, leur perception de la transition des territoires de montagne, leur rapport au changement climatique etc.  Les individus sont trop souvent absents des politiques et des processus mis en place, voire écartés des décisions qui les concernent pourtant au premier chef. On réfléchit (trop) souvent de manière descendante, presqu’« hors-sol », pour savoir ce qu’il faudrait faire. L’idée est ici de les placer au cœur du dispositif.  

Sur le plan théorique, mes recherches s’inscrivent principalement dans le champ de la psychologie sociale, mais d’une psychologie sociale très sociale. Je le précise car il y a aujourd’hui toute une branche de la psychologie sociale qui s’intéresse davantage aux facteurs individuels qu’aux facteurs sociaux pour rendre compte du compte du comportement humain et ce n’est pas mon cas. En ayant recours à la théorie des représentations sociales je m’intéresse aux processus mentaux par lesquels les individus donnent du sens au monde qui les entoure, mais en les considérant comme étant pleinement marqués par les contextes dans lesquels ils évoluent, qu’ils s’agissent des contextes liés à leur histoire individuelle, à leurs appartenances groupales ou à la spécificité des objets étudiés. Quand je m’intéresse aux individus je m’intéresse donc également à l’évolution socio-historique des pratiques sur lesquelles je travaille, aux normes et aux valeurs ambiantes, à la nature des interactions sociales qui s’y déroulent etc. 

Les stations de sports d’hiver s’appuient-elles sur votre expertise ?

Oui tout à fait. TranStat en est l’exemple le plus marquant puisque nous travaillons vraiment « main dans la main ». Mais avant c’était aussi le cas. Lorsque nous avons travaillé sur le rapport au risque dans les snowparks, il s’agissait d’un projet financé par la fondation Maïf, les responsables des stations étaient vraiment en attente de nos résultats.  À la fin de cette étude nous avons d’ailleurs édité un livre blanc à destination des stations. J’ai ensuite été associé aux réflexions visant à définir les critères d’aménagement des snowparks et participé à plusieurs congrès professionnels pour y présenter les résultats de ce travail. Nous avons aussi participé à la création d’un serious game qui s’appelle « Snowpark Challenge », en collaboration avec les Domaines Skiables de France, l’entreprise de conception du serious game et la fondation MAIF. Ce fut une expérience passionnante ! 

Aujourd’hui, dans le cadre de mes travaux portant sur la pratique du ski de randonnée (soutenu par le labex ITTEM) nous avons également pour objectif de mettre en place un observatoire destiné à structurer les liens entre l’université et les acteurs du territoire de Belledonne. L’idée est de permettre la co-construction des connaissances autour du ski de randonnée et d’accompagner ce territoire dans de possibles trajectoires d’adaptation. 

J’ai aussi récemment co-encadré une thèse sur le rapport au risque en alpinisme, qui a été financée par la fondation PETZL et qui n’aurait pu être réalisée sans le soutien des professionnels du secours en montagne qui nous ont permis d’avoir accès à leurs données. Aujourd’hui ce sont ces mêmes acteurs qui bénéficient des résultats de ce travail, notamment pour perfectionner leurs outils de récolte des accidents et faire de la prévention. 

De quelle (s) manière (s) travaillez-vous ?

Je fonctionne à partir d’enquêtes mixtes, mêlant approches qualitatives et quantitatives.  Pour vous donner un exemple, voilà la manière dont on a fonctionné dans l’étude sur le rapport au risque dans les snowparks : nous avons d’abord effectué une phase d’observation (1) : nous étions là, nous regardions ce qui se passait. On avait une grille d’observation et on faisait aussi des mini-entretiens pour compléter ce que nous avions vu. Ensuite il y a eu une phase d’entretiens non-directifs (2), une quarantaine d’environ une heure chacun. Enfin la troisième phase correspond à une enquête par questionnaires (3), nous en avons récoltés plus d’un millier, sur le terrain. Et ensuite on analyse tout ça ! L’idée c’est de pouvoir étayer les informations qualitatives grâce au quanti, et vice versa. 

Et côté enseignement, qu’en est-il ?

Je co-dirige le pacours de master « management du sport : tourisme et montagne » (MSTM)  avec mon collègue Marc Langenbach. Ce master nous l’avons orienté sur la question de la transition des territoires et des pratiques sportives de montagne. J’enseigne beaucoup dans ce master dans lequel on aborde la question de la vulnérabilité des territoires de montagne dans un contexte de changements climatiques, économiques, sanitaires et sociaux,  tout en étant centré sur la question du sport et du tourisme sportif. C’est un peu un master militant et puis on est vraiment au cœur des préoccupations actuelles et je trouve cela passionnant. Il faut sans cesse se réactualiser, prendre en considération les nouvelles initiatives, tendances d’évolution, les nouvelles connaissances… J’enseigne aussi pas mal sur tout ce qui touche à l’initiation à la recherche, aux méthodes d’enquêtes et à la question de la gestion des relations humaines. 

Selon vous, quels sont les changements à l’œuvre dans le tourisme de montagne ?

Côté station je pense qu’un des changements importants est la prise de conscience du fait que le modèle actuel n’est plus viable et qu’il faut se tourner vers un autre modèle. Maintenant cela ne signifie pas que les choses bougent réellement, et particulièrement pour les stations de haute altitude : tant que le secteur restera lucratif il est en effet peu probable que les choses changent. Par contre du côté des stations de moyenne altitude, qui sont directement impactées par le réchauffement climatique et le manque de neige, les choses tendent à évoluer lentement. Certaines stations vont « rationnaliser » la pratique du ski alpin en n’ouvrant que le week-end, en délaissant certains secteurs et remontées, proposer d’autres activités nécessitant moins ou pas d’enneigement. La nécessité de changer s’observe aussi du côté des comportements et des attentes des touristes, qui s’orientent vers des façons de vivre la montagne que l’on pourrait qualifier de plus « responsables », mais là encore on observe bien souvent un décalage entre croyances et comportements. Et puis il y a aussi toutes les questions liées à la sur-fréquentation, à la prise en considération des populations locales (avec notamment le problème d’accès au logement face à la flambée de l’immobilier), à la préservation de l’environnement …  Bref, les territoires de montagne sont confrontés à de nombreux défis, notamment liés à leur développement économique fondé sur l’attractivité touristique 

Pour aller plus loin….

• Reynier V. (à paraître) S’amuse-t-on toujours en montagne ? In Fourny M-C, Gal S. (Eds) Les cents mots de la montagne. Grenoble : UGA Editions

• Kreziak D., Reynier V., Bourdeau P. & Joye, JF. (2022), Quand le ski de randonnée brouille les pistes, L’Argentière La Bessée : Editions du Fournel. 196 pages

• Reynier V., Gruas L. & Perrin-Malterre C. (2022), Diversité des profils de randonneurs et pluralité de la pratique. In Kreziak D., Reynier V., Bourdeau P. & Joye JF (Eds) Quand le ski de randonnée brouille les pistes. L’Argentière La Bessée : Edition du Fournel. 

• Vanpoulle M., Reynier V., Soulé B., Lefevre E. (2022) Accidentologie et évolution du rapport au risque en ski de randonnée, In Kreziak, D., Reynier, V., Bourdeau P., Joye JF (Eds) Quand le ski de randonnée brouille les pistes. L’Argentière La Bessée : Edition du Fournel. 

• Reynier V., Soulé B. & Pabion-Mouriès J. (2022). Snowpark users’ multi-faceted relationship with risk. European Journal for Sport and Society, Routledge, pp.1-22. ⟨10.1080/16138171.2022.2032919⟩ et ⟨hal-03576151⟩

• Soulé B., Reynier V. (2022), Apprivoiser le risque et renforcer la reconnaissance subculturelle : les usages de l’humour dans les snowparks, Revue Interrogation, n°35, http://www.revue-interrogations.org/Apprivoiser-le-risque-et-renforcer

• Reynier, V. (2022), Des années 1970 à nos jours : quelles évolutions des pratiques sportives en montagne, Cahier de Tendances Montagnes n°3, pp. 23-25

• Reynier V., Soulé B. (2022), Les snowparks : une innovation aux visages pluriels, Jurisport n° 231

• Reynier V., Soulé B. & Pabion-Mouriès J. (2020). Skiing and Snowboarding Injuries in Snowparks: a Study based on self-reported Practitioners’ Statements. Wilderness & Environmental Medecine Wilderness & Environmental Medicine, 31(2), 181-187 doi.org/10.1016/j.wem.2020.01.007 

• Reynier V., Soulé B. & Pabion-Mouriès J. (2019). Du freestyle aux snowparks. Evolution du public, des pratiques et du rapport au risque. Grenoble : PUG, 154 pages.

• Reynier V., Soulé B. & Pabion-Mouriès J. (2018). Profils sociodémographique et sportif des usagers des snowparks dans les stations de montagne des Alpes françaises. Leisure/Loisir, 42 (2), 149-162.

• Soulé B., Reynier V., Boutroy E., Lefevre B, (2017), Who is at risk in the French mountains? Profiles of the accident victims in outdoor sports and mountain recreation, Journal of Mountain Science 14 (8) : 1490-1499. DOI : 10.1007/S11629-016-4146-5.  

• Soulé, B., Lefèvre, B., Boutroy, E., & Reynier, V. (2017). L’accidentologie des sports de montagne en France : un état des lieux basé sur l’exploitation de données secondaires. Science & Sports Science, 32(4), 203–213. DOI :1016/j.scispo.2017.04.008. 

• Vignal B., Boutroy E., Reynier V. (Eds) (2017) Une montagne d’innovations, collection Montagne et Innovation, Quelles dynamiques pour le secteur des sports outdoor ? Presse Universitaire de Grenoble. 245 pages.

• Soulé, B., Reynier, V., & Pabion-Mouriès, J. (2017). Les snowparks dans les massifs français (1990-2010) : une innovation territoriale. In Une montagne d’innovations (Vignal B., Boutroy E. & Reynier V.). Grenoble: PUG.

• Pabion-Mouriès, J., Reynier, V., & Soulé B. (2016). Bodily Engagement of Snow Park Freestylers: A Study in Three French Winter Sports Resorts. International Review for the Sociology of Sport. 51, 5, 581–595. 

• Soulé B., Reynier V. & Pabion-Mouriès, J. (2016) Snow Park evolution in France from 1990 to 2010: A plurality of compromises and gradual rationalisation behind a major territorial innovation. Society & Leisure. 39, 104-121. 

• Pabion-Mouries J., Reynier V., Soulé B. et Bourdeau P. (2016), De la relégation à la participation : les avatars socioculturels d’un aménagement en station de montagne, les snowparks, Téoros [online] 35, 1 DOI : 10.7202/1040235ar

• Pabion-Mouriès J., Reynier V. & Soulé B. (2016), Les leviers de différenciation face à la banalisation des « espaces nouvelles glisses » en station de montagne : l’importance des dimensions sociales et culturelles dans les snowparks, Mondes du Tourisme. En ligne sur http://tourisme.revues.org/1031

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