
Présentation de Nico Didry
Je me définis avant tout comme un chercheur en ethnomarketing. J’ai un parcours plutôt atypique et j’en suis très fier ! Cela a façonné mon statut et ma manière de fonctionner en tant que scientifique.
J’analyse le « comportement du consommateur » selon une approche socio-culturelle de la consommation. Mon travail de chercheur consiste à étudier la manière dont les gens consomment notamment au travers du prisme de leur appartenance à une tribu ou une communauté. Plus précisément, c’est la dimension émotionnelle collective de leur expérience que j’analyse. À ce titre, je mobilise des outils qualitatifs et particulièrement ethnographiques. Je fais partie du GIT (Groupe d’intérêt thématique) Innovations et Marketing de la Culture et du Tourisme de l’Association française du marketing (Afm).
Quel est votre parcours universitaire ?
Au départ je suis professeur d’EPS (Enseignement physique et sportif) mais j’ai toujours enseigné dans le supérieur, plus précisément au SUAPS (Service universitaire des activités physiques et sportives) de l’Université Grenoble Alpes. Essentiellement dans l’apprentissage et la pratique du ski et du snowboard (je suis aussi moniteur de ski). Je gérais une très grande école de glisse avec plus de 3 500 étudiants et 80 coachs. Nous faisions des sorties tous les weekends, ou presque. J’ai permis de développer cette structure pendant plus de vingt ans. Il s’agissait d’un véritable pôle d’attractivité pour l’UGA (Université Grenoble Alpes) qui a permis d’attirer nombre d’étudiants qui choisissaient de venir étudier à Grenoble spécifiquement parce qu’il y avait une très forte proximité avec les stations de sports de glisse et parce qu’il avait la présence d’une structure sportive performante, là notre. Les forfaits étaient à 8 € la demi-journée avec la prise en charge de cours gratuits.
En 2003 j’ai passé et obtenu un DESS en Économie du Sport et du Tourisme. Ce diplôme s’est transformé en master (Master EDO parcours Stratégies économiques du sport et du tourisme – SEST). Master que je co-gère actuellement. Je m’étais de plus en plus impliqué dans cette formation-là jusqu’à en devenir son co-directeur. En 2004, je suis devenu intervenant en évènementiel, à l’UGA mais également dans des collectivités ou des structures privées. J’ai débuté une thèse en 2010, soutenue en 2016, « Les dynamiques émotionnelles collectives dans la consommation expérientielle : approche ethnomarketing de l’expérience de festival ». Je n’étais pas financé et je travaillais en plus de mes recherches. Tout cela était très énergivore et très chronophage. Je suis devenu maître de conférences (MCF) en 2020.
Comment êtes-vous entré dans le tourisme ?
J’ai toujours « baigné » dans le tourisme en habitant des sites touristiques (Annecy, Grenoble), en voyageant beaucoup et en travaillant en tant que moniteur de ski pendant mes vacances. J’ai aussi eu une belle opportunité de découvrir le monde pendant huit ans : j’ai occupé le poste d’entraîneur de l’Équipe de France de Snowboard Cross afin de préparer les sportifs sélectionnés aux Jeux Olympiques d’Hiver de Turin (2006), avant de devenir coordinateur de l’ensemble des équipes de France de Snowboard aux Jeux Olympiques d’Hiver de Vancouver (2010). J’ai donc beaucoup voyagé et grâce à cela, j’ai acquis une sensibilité sur l’approche socio-culturelle du tourisme, c’est-à-dire sur la manière de prendre en compte les spécificités culturelles et sociologiques dans l’observation et l’analyse des comportements.
De plus, en tant que professeur de glisse à l’Université, j’ai organisé beaucoup d’évènements pour les étudiants. C’est aussi à ce moment-là que j’ai commencé l’écriture d’un ouvrage, sans titre universitaire « légitimant » cette implication dans le milieu événementiel. Il a été publié en 2009 et il s’intitulait : Les enjeux de l’évènement sportif – Approche économique et études de cas. Je me suis rendu compte très tôt que tous ces évènements étaient aussi touristiques. Ils sont générateurs de tourisme, de retombées économiques directes ou indirectes et sont facteurs d’attractivité pour les territoires. Les individus se déplacent sur les lieux des festivals ou des événements, les organisations publiques et/ou privées s’associent aux territoires afin de développer leur notoriété ou leur image, etc. Parfois ce sont les acteurs des territoires qui organisent eux-mêmes l’évènement pour faire rayonner lesdits territoires. Prenons quelques exemples que j’ai étudié : Jazz à Vienne (France), Tomorrowland en France à l’Alpe d’Huez, même si la version belge de l’été (Boom) est bien plus importante que la version hiver et française de l’évènement. Les événements sont donc fortement liés à des stratégies touristiques des territoires, et tout au moins, ils sont vecteurs de tourisme.

À vous écouter, votre métier de chercheur s’insère dans une vie professionnelle déjà bien remplie…
Et personnelle également ! Je me suis toujours organisé pour faire de mes passions mon travail : la musique, les festivals mais aussi la montagne, le ski. Je continue les week-ends à apprendre aux glisseurs à évoluer en hors-piste, être autonome en montagne en tant que moniteur de ski. Les gens me disent souvent que j’ai eu plusieurs vies et ce n’est pas forcément faux. J’ai accumulé plusieurs activités et expériences très diverses, c’est cela aussi la richesse de mon parcours. Passer d’un point de vue à un autre, d’un secteur à un autre, permet une prise de recul et est enrichissant pour mon métier d’enseignant-chercheur.
Et concernant l’événementiel, j’ai toujours gravité dans ce milieu, au départ en tant que relation publique sur les Jeux Olympiques de 1992 à Albertville (j’étais tout jeune), puis sur le Tour de France pendant sept ans, et ensuite en tant que créateur et organisateur d’événements dont notamment le Snow Garden Festival à Grenoble, festival sur la culture glisse (films, concerts, expositions, salon). Mais je me suis rendu compte que c’était bien plus simple d’étudier les événements que l’on n’organise pas.

Pouvez-vous préciser ce sur quoi portent vos recherches ?
Je tente d’expliquer l’expérience du spectateur d’un point de vue émotionnel. Il s’agit d’un enjeu majeur et de l’un des facteurs essentiels de la venue sur l’évènement pour le public : se retrouver avec d’autres gens, partager avec d’autres spectateurs… Au-delà de la dimension sociale, qui a déjà été travaillée par d’autres scientifiques, je me focalise sur la dimension émotionnelle, qui elle, est beaucoup moins travaillée. En tout cas pas d’un point de vue du collectif.
En effet, dans ces évènements, il y a un vécu collectif au niveau des émotions, ce que j’appelle une dimension émotionnelle collective. Par exemple je me pose la question de savoir comment, dans un festival de musique ou dans une rencontre sportive, il y a une émotion qui se transfère d’une personne à une autre ? De quelle manière ce phénomène de contagion émotionnelle et ce partage d’émotion s’exprime-t-il ? Comment une émotion collective émerge ? Et quelles en sont les variables et les attributs ? Tout cela est au cœur de ma recherche. Il s’agit de ma spécialité. Mes résultats ont mis en avant l’importance de ce vécu émotionnel collectif dans le vécu de l’expérience du consommateur. C’est un aspect central pour eux. J’essaie donc de fournir des éléments de réponse aux organisateurs pour qu’ils fassent évoluer leurs évènements de manière à répondre au mieux aux attentes des consommateurs, afin de favoriser une expérience collective optimale au niveau émotionnel.
Je travaille également sur les pratiques innovantes observées dans le monde du sport et du tourisme. J’étudie par exemple le développement du concept de « ski clubbing », soit faire la fête lors d’une journée de ski, sur les pistes des stations, dans des bars-restaurants qui se transforment, à partir de 15h00, en dancefloor d’altitude et de plein air tel que par exemple, La Folie Douce, entreprise qui possède sept ou huit établissements en France : Val Thorens, Megève, Alpe d’Huez, Serre-Chevalier, etc. En Allemagne ou en Autriche ce concept est présent depuis quelques années déjà. Mais la part de la fête y était déjà plus présente, c’est une spécificité culturelle.
C’est une des réponses apportées aux attentes des consommateurs qui souhaitent des expériences partagées. Ils choisissent leur destination en fonction de l’expérience qu’ils ont envie de vivre.
Le second axe de mes recherches se situe sur une échelle davantage macro, celle des territoires touristiques. J’étudie les différentes stratégies des stations de montagne (stations de ski), d’un point de vue évènementiel. Par exemple, le développement du co-branding dans le secteur de l’événementiel en station de ski, qui renvoie à une tendance contemporaine que l’on retrouve un peu partout. Il s’agit de l’association de deux marques. Dans mon cas, c’est l’association d’une marque de territoire et d’une marque de festival : Tomorrowland (Boom, Belgique) avec sa version hiver à l’Alpe d’Huez (Tomorrowland Winter), Musilac (Aix-les-Bains, France) avec sa version hiver à Chamonix (Musilac Mont-Blanc), Natural Games (Millau, France) avec sa version hiver à Avoriaz (Natural Games #Winter), même si cela n’a pas été reproduit pour des problèmes de gouvernance, Garorock (Marmande, France) avec ses versions hiver aux Angles, à Luchon-Superbagnères (Garosnow) etc.
Comment travaillez-vous ?
Je prends en compte les gens, leur histoire, leur culture pour analyser leurs comportements. C’est ce qu’on appelle l’approche socioculturelle qui est significative du courant scientifique de la Consumer Culture Theory (CCT).
Cela demande une importante phase d’immersion sur le terrain, plutôt longue, qualifiée d’ethnographique. La méthodologie que j’utilise est l’ethnographie. Elle est dictée par le terrain et la question de recherche choisie, elle varie donc d’un terrain à l’autre. Elle repose sur une pluralité de la collecte des données et une immersion longue. Le temps de collecte des données est important, comme le traitement a posteriori d’ailleurs vu la quantité de données récoltées. L’avant et l’après sont donc longs, alors que le moment du festival est lui, plutôt court. Un paradoxe. Je mène un travail d’investigation fouillé et documenté. Au-delà de l’immersion sur le terrain en observation participante, il faut aussi s’immerger dans la communauté pour en connaitre les codes et normes et ainsi pouvoir analyser et interpréter les données de manière pertinente.

Par exemple, dans ma thèse, mon terrain principal portait sur la « psytrance » (de l’électro psychédélique), dont la communauté s’apparente aux néo-hippies, au travers de l’analyse des festivaliers du Hadra Trance Festival. Or, je suis plutôt un clubbeur (house music ou techno), pas un « transeux ». Les codes communautaires sont différents, même s’il s’agit pour les deux de musique électronique. J’ai donc dû apprendre à connaitre les normes, les codes culturels et sociaux de cette communauté, grâce à une véritable immersion réalisée dans les soirées, les festivals, les forums, les réseaux sociaux etc. Je trouve cela intéressant de découvrir de nouvelles cultures dans le cadre de ses propres recherches. C’est intéressant aussi pour reprendre l’idée de Max Weber, de cultiver « l’atout de l’étrangeté » qui permet d’enrichir la collecte de données et l’analyse.
De la même manière, l’été dernier, Je suis allé analyser les festivaliers « métal » du Hellfest (Clisson, France) ou j’ai d’ailleurs rencontré Christophe Guibert (entretien à lire ici). Je ne connaissais pas vraiment le monde du métal, ses codes etc. J’y suis donc allé avec deux personnes membre de cette communauté. Cela a été nécessaire et m’a permis d’avoir des clefs plus précises pour interpréter les comportements des festivaliers, que cela soit au niveau de l’expression de leurs émotions qu’à un niveau plus large sur leurs logiques de consommation. Ailleurs, la communauté peut être relative à un territoire, comme c’est le cas avec les feria du Sud-Ouest, celles de Bayonne ou de Dax. Le sentiment d’appartenance à la communauté est un des aspects importants à prendre en compte pour analyser la dimension émotionnelle collective de l’expérience. À titre d’exemple et de manière très résumée, l’aspect vestimentaire (la couleur rouge et blanc pour la féria, la tenue noire, les tatouages pour le Hellfest, le maillot ou l’écharpe du club pour le supporter) permet de montrer son appartenance à la communauté, il favorise le partage social des émotions.

J’analyse donc au travers de l’étude du comportement des consommateurs, le rôle d’une communauté ou d’une marque sur le vécu émotionnel de l’expérience, comme celle de Tomorrowland par exemple, qui arrive à impulser ses propres codes culturels (love-live-unite) à des festivaliers qui n’ont pas ces codes au quotidien, et à s’imposer comme un créateur de tendances comme peut l’être Apple dans un autre domaine.
Enfin, mon approche ethnographique multisite c’est-à-dire le fait d’aller analyser différents contextes culturels (musical ou sportif) et de les comparer, me permet d’analyser différentes situations pour, à la fin de ce processus, généraliser (ou pas) certains résultats et d’observer d’éventuelles spécificités ou inversement, des invariants. Il permet aussi de garder du recul sur l’objet observé.

De quelle manière transmettez-vous toutes ces recherches à vos étudiants ?
J’essaie de donner envie à tous mes étudiants du master « stratégies économiques du sport et du tourisme » (SEST) ! De leur communiquer le goût de l’effort mais aussi de la passion. Étant moi-même passionné, je suis un peu frustré de ne pas pouvoir divulguer l’ensemble de mes recherches pendant les cours. Mais je fais de nombreuses digressions et parenthèses, et pendant les moments off j’essaie d’évoquer quelques résultats de recherche, quelques pistes envisagées, des réflexions…
Je les emmène beaucoup sur le terrain, observer l’organisation d’événements sportifs ou touristiques. J’utilise mon réseau pour mettre en place des projets comme cette année sur les championnats du monde de ski alpin de Courchevel-Méribel 2023, avec un focus sur la stratégie RSE de l’organisation, nous y sommes donc allés en septembre puis lors de l’événement. Nous allons sur des salons professionnels (ISPO), visiter des musées et infrastructures sportives (Olympique Lyonnais).
Je fais systématiquement une journée d’intégration au début d’année ou on joint l’utile à l’agréable. Cette année nous sommes allés dans un wake park (parc de loisirs aquatique) à la fois pour tester le parcours client, mais également pour rencontrer le directeur du parc. Je pense que le travail ne doit pas systématiquement, dans la mesure du possible, être dissocié du plaisir et de la passion. Dans mon cas, cela a très bien fonctionné. J’essaie de reproduire cela.
L’idée est donc de toujours faire le lien entre théorie et pratique et donc d’aller sur le terrain pour illustrer les concepts théoriques vus en cours.
Sur la transition, terme central dans notre maquette de formation, nous collaborons avec deux structures, le Cluster Montagne qui fédère tous les acteurs de l’aménagement en montagne, et l’association Mountain Riders qui éduque et forme à la transition écologique en montagne. C’est un thème qui me semble vraiment important et que nous allons encore renforcer dans les années à venir. J’envisage d’ailleurs de plus travailler dessus au niveau de mes recherches.
Comment voyez-vous le tourisme dans les années ou les décennies à venir ?
J’ai lu l’année dernière la bande dessinée Le Monde sans fin de Jancovici et de Blain. J’ai adoré mais ça m’a également fait encore plus prendre conscience de certaines choses liées à l’urgence de la situation climatique. J’ai l’impression de vivre un moment de bascule. Le rapport aux loisirs, sous l’effet majeur de la sobriété, va se transformer. Il y a déjà des choses qui émergent et qui se développent : l’itinérance à pied, à vélo, la micro-aventure proche de chez soi. En fait nous vivons une espèce de « ré-enchantement de la consommation » de l’expérience simple, proche de chez soi.
On peut imaginer que le tourisme devienne exclusivement lié à la notion d’« expérience », et quitte le modèle traditionnel, 15 jours au bord de la mer l’été et 7 jours en montagne l’hiver. Le tourisme sera pensé autrement. Selon moi, ces changements seront davantage impulsés par les citoyens, (les touristes) que par les structures qui ont de l’inertie. J’engage un peu en disant cela, mais j’en suis persuadé. Les manières de faire du tourisme seront liées aux changements initiés dans la manière d’être touriste. Évidemment il y a beaucoup d’éléments à prendre en compte comme la culture, le poids de l’Histoire, les enjeux économiques…Mais nous allons assister à l’émergence de projets qui vont se différencier de ce qu’il se faisait jusque-là. C’est certain et c’est déjà le cas.
Il est fort possible que l’on réduise notre rayon d’action, eu égard à la limitation de l’avion et ce, même si en France les chiffres de fréquentation ne le montrent pas encore et même si le « flight shaming » n’est pas aussi important qu’en Suède par exemple.
Il y a également les problèmes liés à la surfréquentation, soit la concentration des touristes aux mêmes endroits aux mêmes moments. S’agissant des sites naturels, bien-sûr qu’il faut activement les protéger. L’« effet Instagram » est très nocif. En Isère, il y a eu beaucoup de monde dans les montagnes pendant le Covid-19. Forcément puisque les gens ne pouvaient pas partir très loin de chez eux. D’autres enjeux émergent, comme ceux de drainer et d’éclater les flux. Aussi, au-delà de la problématique de la surfréquentation, les nouveaux utilisateurs de ces espaces n’avaient pas les codes ni les connaissances liés au respect de l’environnement. Enfin, le « surtourisme » de certains sites (Barcelone, Venise, le Pays Basque…) impacte les habitants qui n’arrivent plus à se loger. Le contexte amène un certain nombre de questions auxquelles il va falloir apporter des réponses… Les pouvoirs publics doivent aussi se pencher sur ces sujets au risque de voir se développer une tendance anti-tourisme plus ou moins forte.
Est-ce que dans dix ans nous pourrons encore faire du buggy dans un hôtel club en Tunisie ou en République Dominicaine ? Je n’en suis pas sûr. Est-ce souhaitable ? Je suis convaincu de la nécessité du changement.
Et plus spécifiquement concernant le tourisme de montagne ?
Justement nous travaillons avec des collègues chercheurs, mais aussi nos étudiants sur la thématique de la transition des territoires de montagnes. Car le dérèglement climatique va fortement bouleverser l’activité touristique telle qu’on la connait actuellement. Dans les décennies à venir, il va y avoir de gros changements, et il faudra sortir du tout ski pour que les territoires de montagne dont une grande partie de l’économie repose sur le tourisme, puisse continuer à exister. Néanmoins, il faudra également anticiper que la part du tourisme dans l’économie locale sera désormais plus faible, et donc trouver des solutions permettant auxdits territoires, parfois enclavés, de rester vivants. C’est la fin d’un modèle, accéléré par la question environnementale. À nous de d’imaginer le nouveau.
À plus court terme, et d’un point de vue micro, sur l’expérience touristique en station de ski, des choses peuvent (et devront aussi changer), car l’offre touristique doit s’adapter aux besoins de la clientèle. Les pratiques changent, les touristes ne skient plus toute la journée, c’est-à-dire pendant trois ou quatre heures sans s’arrêter. Ils skient moins, ils passent davantage de temps à vivre ensemble, à partager leurs émotions, à faire la fête. Or l’expérience ski est encore conçue et vue par des décideurs qui ont la culture ski (donc basée sur le tout ski) et donc qui n’ont pas forcément la même approche et la même vision que les touristes qui recherchent une variété d’activité et la possibilité d’avoir en permanence des interactions émotionnelles quel que soit l’activité. C’est l’expérience qui prime.
La place et le rôle des chercheurs sont importants à ce niveau-là : le scientifique va en général plus loin que les études menées ou commanditées par les stations de ski. Il interroge l’ensemble des acteurs concernés, y compris les touristes. Il prend davantage le temps d’échanger. Il a une vision générale et souvent un regard extérieur qui permet de prendre du recul sur la situation.
Enfin, le dernier point concerne l’essor de la micro-aventure qui est une forte tendance actuelle et qui va à mon avis continuer à se renforcer. Le rayon de déplacement du touriste se réduit aussi, parfois à quelques kilomètres. « Pas besoin d’aller chercher très loin ce que je peux trouver ici ». En outre, le séjour devient de plus en plus expérientiel. Je vis et je partage des émotions. Il peut également être « autoproduit » c’est-à-dire construit personnellement, par et pour moi, en dehors des canaux classiques des opérateurs touristiques. Je ne dis pas que cela est systématique partout dans le monde, je dis seulement que c’est une tendance qui se développe dans certains lieux, avec certaines personnes. On l’observe ici, à Grenoble. Des salariés quittent leur travail en fin d’après-midi, grimpent la montagne, bivouaquent et dorment sous les étoiles. Le lendemain matin ou en début d’après-midi, ils redescendent assurer leur tâche (s) professionnelle (s).
Des conseils à donner aux futur.e.s chercheur.e.s ?
Si j’avais un seul conseil à donner, ce serait d’adopter et de cultiver son ouverture d’esprit. Une vie de chercheur ne peut se dissocier de la vie de tous les jours… Plus les connaissances et les expériences (y compris quotidiennes) seront riches et nombreuses, plus cela leur permettra d’ouvrir des pistes de réflexions pertinentes.
Il y a aussi ce que j’appelle l’ouverture émotionnelle, soit cette capacité à être ouvert aux autres, et de ce fait, capter les gens et leur attention. Cela facilite grandement mes collectes de données et rend le travail bien plus agréable.
La recherche est pour moi une aventure humaine. Rencontrer des gens, se faire de nouvelles connaissances, vivre des expériences, même « faire la fête » avec eux…C’est la partie émergée de mon iceberg. La partie immergée, ce sont des heures de travail en amont et en aval. Mais cette partie émergée fait oublier tout le reste. C’est pour cela que je me régale dans mon travail.
Pour aller plus loin….
Quelques publications (par ordre chronologique) :
• Didry N. (2022), Comment analyser les phénomènes émotionnels collectifs lors des spectacles sportifs : l’apport de l’ethnographie, Jurisport, 236 p.
• Didry N. (2022), Comprendre les interactions sociales et émotionnelles lors d’un festival : le cas de Jazz à Vienne, in Bourgeon-Renault D., Euzeby F. et Passebois-Ducros J., Innovation et marketing de la culture et du tourisme, éditions EMS, Caen, 34-53 pp.
• Didry, N. (2022).- L’approche ethnographique au service de l’analyse des dynamiques émotionnelles collectives de la fan expérience de spectacles sportifs. 2ème Congrès de la S2MS, Société Savante de Management du Sport, Corté.
• Didry, N., Garcia-Bardidia, R. (2022), La scène, un monde émotionnel : comprendre l’expérience émotionnelle collective des consommateurs. 38ème congrès de l’AFM (Association Française de Marketing), Tunis.
• Didry N. (2021), L’expérience émotionnelle collective : typologie des consommateurs de festival de musique. Actes des 21èmes journées Normandes de la Recherche sur la Consommation, Rouen.
• Didry N. (2021), Pourquoi les festivals nous manquent vraiment, The conversation France, 19/05/21.
• Didry N. (2021), Festivals et concerts en mode covid-19 : une expérience émotionnelle appauvrie ?, The conversation France, 12/05/21.
• Didry N. et Giannelloni J.L. (2021), Emotional interactions in festival: consumer strategies to design a collective emotional experience, in Kozak M, Decrop A. (ed), Sustainable and collaborative tourism in a digital word, Goodfellow publishing, Oxford, United Kingdom, 48-65 pp.
• Didry N. (2020), La Glisse, une contre-culture rattrapée par le marché, The Conversation France.
• Didry N. (2020) : Sports de glisse : êtes-vous un rider sans le savoir ?, The Conversation France.
• Didry N. et Giannelloni J-L. (2019), Les dynamiques émotionnelles collectives. Synthèse de littérature et voies de recherche en marketing. Recherche et Applications en Marketing, 34-44 pp.
• Didry N., Frochot I. et Kreziak D. (2019), Ski-clubbing, upgrading and transforming the touristic ski experience, 8th Avances in Tourism Marketing Conferences, Namur.
• Didry N. (2016), Les dynamiques émotionnelles collectives dans la consommation expérientielle. Approche ethnomarketing de l’expérience de festival. Thèse de doctorat en sciences de gestion sous la direction de J-L Giannelloni, 427 p.
• Didry N. et Giannelloni J-L. (2015), Dynamiques émotionnelles collectives et appartenance communautaire : Approche ethnomarketing de l’expérience de consommation d’un spectacle sportif, Actes des 14èmes journées Normandes de la Recherche sur la Consommation, Angers.
• Didry N. et Giannelloni J-L. (2014), Les émotions partagées lors d’une expérience collective de consommation : Approche socioculturelle du Hadra Trance Festival, Actes des 13èmes journées Normandes de la Recherche sur la Consommation, Rouen.
• Didry N. (2013), La délocalisation de pratiques pour la mise en avant des territoires, l’exemple des événements de glisse en zone urbaine, in O. Bessy, L’innovation dans l’événementiel sportif, Presses universitaires du sport, 74-82 pp.
• Didry N. (2008), Les enjeux des événements sportifs, approche économique et études de cas. Paris, L’Harmattan, 160 p.
Quelques lectures personnelles
• Le monde sans fin, miracle énergétique et dérive climatique (2021), Jean-Marc Jancovici et Christophe Blain, Dargaud, 196 p.
• Ralentir ou périr, l’économie de la décroissance (2022), Timothée Parrique, Seuil, 320 p.
• 1984 (1949), Georges Orwell, 400 p.
• Bug, tome 1 (2017), Enki Bilal, Casterman, 88 p.
• Il faut flinguer Ramirez, tome 1 (2018), Nicolas Petrimaux, Glénat, 144 p.
• Les vieux fourneaux, tome 1 (2014) : Wilfrid Lupano & Paul Cauuet, Dargaud, 56 p.