Episode 1, la thèse

Naïma inaugure une série dédiée aux acteurs de la recherche en tourisme. Le but de cette série est de connaître leur parcours, et leur approche de la recherche. Naïma a commencé son doctorat en 2020 (en pleine crise du covid-19) et oriente ses travaux vers le Smart Tourisme.

Quel a été votre parcours universitaire et professionnel avant de commencer votre doctorat ?

J’ai suivi un cursus universitaire en sciences économiques. Depuis mon plus jeune âge, j’ai toujours été attirée par les voyages, l’international, les langues étrangères, les cartes et les globes terrestres. Mes parents et ma famille ont largement contribué à éveiller ma curiosité pour les autres cultures et pour l’itinérance. Pourtant, lorsque j’étais au lycée et même à l’université, je ne concevais pas le tourisme comme un objet d’études. J’associais le tourisme à une activité de loisirs et un bon moyen de découvrir et d’entendre des langues étrangères. Je n’ai pas vraiment cherché et je n’ai découvert qu’à la fin de mes études qu’il y avait des formations touristiques.

J’ai travaillé dans diverses structures notamment des entreprises du secteur touristique à des postes en communication et marketing. En parallèle, j’écrivais des articles de blog sur certains de mes voyages et je m’intéressais quotidiennement à l’actualité touristique. Le fait d’assister à des colloques et des conférences m’a donné envie d’étudier le tourisme de manière plus approfondie. Je me suis rendue compte que la période que nous vivons, avec les mutations liées à la mondialisation et les nouvelles technologies, avait un impact sur le tourisme et que cela contribuait à bouleverser davantage les paradigmes du tourisme. J’ai donc cherché à entreprendre une thèse de recherche et aujourd’hui je suis rattachée à l’université Gustave Eiffel à l’école doctorale « Cultures et Sociétés » et au laboratoire Dicen – IDF, qui est situé dans les locaux du CNAM à Paris.

C’est votre expérience dans la communication et le marketing touristique qui vous a mené à orienter votre thèse vers le Smart Tourisme et les nouvelles technologies ?

Le monde de l’entreprise est très différent de celui de la recherche. Dans le premier cas, il faut réagir rapidement et être opérationnel, tandis que dans la recherche, le temps est plus long, propice à la réflexion et à l’analyse. Et oui, c’est un sujet qui s’est imposé assez naturellement étant donné l’omniprésence dans notre quotidien des Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication, et la nécessité de se tourner vers de nouvelles formes de tourisme. De plus, je suis très sensible aux questions liées à la préservation des destinations dont certaines qui peuvent être potentiellement affectées par des nuisances, et qui se manifestent par une dégradation des sites, de l’environnement ou de la qualité de vie. Sur la scène médiatique, et notamment lors de la saison estivale, on entend beaucoup parler des phénomènes de « surtourisme » ou de tourisme de masse. Cependant, il faut être prudent avec l’emploi du terme « tourisme de masse », d’ailleurs, Bertrand Réau qui fait partie d’AsTRES explique que le tourisme de masse est notamment lié au temps libre et aux inégalités sociales plus qu’à une manière de voyager.

Comment votre thèse aborde cette thématique ? Où en êtes-vous dans l’avancée de vos recherches ?

Tout d’abord, je réalise une thèse en sciences de l’information et de la communication et l’objet d’étude est le smart tourisme. Dans cette optique, je souhaite m’intéresser à la perception du touriste et à la manière dont il utilise la technologie info-communicationnelle mise à disposition durant son expérience touristique, au sein d’une Smart Destination. En raison de la situation sanitaire, je n’ai pas la possibilité aujourd’hui de savoir si je vais pouvoir mener des entretiens avec des touristes. Il est donc possible que mon sujet soit amené à évoluer car il faut que je fasse des enquêtes de terrain et pour le moment je n’ai pas vraiment de visibilité.

Pour revenir à mon choix de sujet, le smart tourisme est un concept récent, avec un discours utopique mais qui tend à se stabiliser au sein de la communauté des chercheurs. C’est l’idée qu’avec les Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication, il est possible d’améliorer l’expérience touristique et la qualité de vie des résidents, tendre vers un tourisme durable, novateur et inclusif. Ça c’est que dit la théorie.

Il faut aussi différencier la Smart Destination – la Destination Intelligente – du Smart Tourisme. La Smart Destination correspond davantage à la gouvernance et à la gestion du territoire avec des outils technologiques (applications, objets connectés, etc.), la concertation des différentes parties prenantes et l’implication des touristes et des résidents. Le Smart Tourisme correspond lui à l’expérience touristique. Un consensus conceptuel à l’international est en train de s’établir et de se stabiliser mais c’est un concept qui doit être pris de manière holistique. Il prend en compte un grand nombre d’acteurs, de disciplines, de paramètres socio-économiques, de notions liées au territoire touristique, et à la psychologie du touriste, entre autres, ça ne se limite pas à la technologie, loin de là.

Je ne sais pas si le futur du tourisme sera « Smart » mais les nouvelles technologies sont omniprésentes dans la vie des citoyens, des résidents ou des touristes. Il faut donc réfléchir aux possibilités de tendre vers un « meilleur tourisme » en utilisant ces outils.

Concernant l’avancée de la thèse, j’ai fait un état de l’art et je suis en train de construire mes hypothèses, mais je ne sais pas si je vais pouvoir rester sur ces hypothèses et cette problématique, compte-tenu de la situation sanitaire. Je travaille encore la méthodologie de ma thèse et la façon dont je vais l’aborder. Cette une étape essentielle et déterminante.

Il existe également la possibilité d’effectuer du traitement de données issues des plateformes socio-numériques. Cependant ce n’est pas suffisant, il faut se confronter à la réalité du terrain.

Au-delà de l’incertitude liée à vos déplacements sur le terrain, comment l’épidémie a impacté votre début de doctorat ?

J’ai commencé ma thèse en pleine pandémie. C’était très frustrant de communiquer uniquement de manière virtuelle, par e-mail et par visioconférence, de plus, tous les évènements se font en ligne. Il y a une saturation et le contact physique manque indéniablement. L’interaction humaine et physique est complètement mise en pause. Même si ça reste pratique, je ressens chaque jour la limite des outils de communication numérique qui amoindrissent et parfois altèrent les relations humaines et intellectuelles.

Le travail de thèse est très enrichissant et stimulant. J’ai la chance d’avoir une directrice de thèse (Nathalie Fabry) qui me donne beaucoup de liberté, ce qui implique une auto gestion du temps, etc.

Je me sens en apprentissage, j’apprends le métier de chercheuse. Malgré le continuum d’apprentissage, la logique et la dynamique sont différentes de celles vécues en Master. Ma manière de penser et d’aborder mes lectures est totalement différente de lorsque j’étais en Master par exemple. En thèse, il y a une méthodologie à suivre : il faut se questionner, douter, formuler des hypothèses, faire beaucoup de lectures pour argumenter en s’appuyant sur des références scientifiques.

Pensez-vous que faire votre thèse plusieurs années après avoir eu une expérience professionnelle vous donne une autre perspective ?

Oui bien sûr et je me sens même un peu transformée car ce sont deux logiques complètement différentes. En entreprise on est dans l’opérationnel, le résultat rapide, l’efficacité. La thèse de doctorat… c’est différent. C’est un temps de réflexion très long. Je pense, qu’au cours de la thèse, il faut aller vers une assimilation raisonnée de connaissances et une construction méthodologique de la pensée plutôt que de la production de connaissances. Il faut lire, beaucoup, et finalement produire beaucoup moins que ce que l’on a lu. La thèse de doctorat permet d’absorber un océan de connaissances et d’en créer quelques gouttes.

Quels sont les cours que vous donnez ? Comment interagissez-vous avec vos étudiants alors que la situation sanitaire est des plus contraignantes ?

Pour le moment, mes cours portent sur l’Economie Internationale du Tourisme, et sont destinés à des étudiants en Licence 3. Il est possible qu’à la rentrée je donne d’autres cours.

Dans mes cours, j’essaye d’éveiller l’esprit critique des élèves. Le but n’est pas d’apprendre par cœur. J’essaie de mettre les étudiants en situation, de les solliciter et de les impliquer en les questionnant sur leurs expériences en rapport avec le cours par exemple. Ils se rendent ainsi compte que ce qu’ils étudient a un réel impact dans leur manière de concevoir les choses dans la réalité.

Je sens une saturation de la part des élèves, et c’est tout à fait naturel. Ce n’est pas évident de créer le contact, notamment visuel, car certains élèves ne peuvent pas mettre leurs caméras. Mais nous n’avons pas le choix pour le moment.

Quel futur envisagez-vous après votre thèse ?

Pour le moment, je ne me projette pas autant mais j’aimerais continuer dans la recherche en France ou même à l’étranger. Je suis ouverte à l’international. Mais en France ce serait génial aussi. C’est un milieu (celui de la recherche) qui est très incertain à cause des réformes qui sont menées par le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche. La recherche en tourisme avec une lecture SIC m’intéresse et m’attire beaucoup pour l’après-thèse, mais je ne veux pas trop m’avancer, il faut tout d’abord que j’avance et termine ma thèse.

Recommandations d’articles de la part de Naïma

Ouvrages :

  • La Structure des révolutions scientifiques. Thomas Kuhn
  • La logique de la découverte scientifique. Karl Popper
  • La Méthode. Edgar Morin
  • L’idiot du voyage: histoires de touristes. Jean-Didier Urbain

Articles :

  • Matteucci, X. and J. Gnoth (2017). « Elaborating on grounded theory in tourism research. » Annals of Tourism Research Annals of Tourism Research.
  • Fabry, N. and C. Blanchet (2019). « Monaco’s struggle to become a smart destination. » IJTC International Journal of Tourism Cities.
  • Hunter, W., N. Chung, U. Gretzel and C. Koo (2015). « Constructivist Research in Smart Tourism. » Asia Pacific Journal of Information Systems.
  • Zacklad, M., Sylvie P. Alemanno and M. Ihadjadene (2020). « Transition numérique, une approche info-communicationnelle ? ».

Contactez-nous

Vous voulez en savoir plus sur l’association ? N’hésitez pas et envoyez-nous un message !

Vous pouvez aussi nous contacter via les réseaux sociaux :