
Jacinthe Bessière, Maître de Conférence et référente de l’association AsTRES pour l’université de Toulouse – Jean Jaurès nous présente ses programmes de recherches et le master dont elle a la charge : Tourisme et Développement.
Présentation de Jacinthe Bessière
Je suis Maître de Conférences en Sociologie à l’ISTHIA (Institut Supérieur du Tourisme de l’Hôtellerie et de l’Alimentation) et je coordonne le Master Tourisme parcours Tourisme et Développement. Je fais partie d’un laboratoire de recherche qui s’appelle le CERTOP (Centre d’Étude et de Recherche Travail Organisation Pouvoir) qui accueille principalement des sociologues mais aussi des économistes, des géographes, des juristes, des chercheurs en sciences de l’information et de la communication, et en sciences de gestion. Ce laboratoire propose des recherches tant fondamentales que appliquées sur le travail, les organisations, le pouvoir et intègre la composante « tourisme » dans l’un de ses axes, tout comme une composante « alimentation » sur lesquelles je travaille. Mes recherches sont à la croisée du tourisme et de l’alimentation au service d’une problématique de développement local ou territorial. Sur cette thématique, je coordonne en équipe deux programmes de recherche.
Pouvez-vous nous présenter le programme de recherche Touralim ?
Le premier programme de recherche s’appelle Touralim (Tourisme-Alimentation) que je mène en co-responsabilité avec un collègue de l’INP de l’école d’ingénieurs de Purpan. L’INP travaille aussi sur les questions agricoles et agroalimentaires. Nous sommes deux sociologues et animons la responsabilité de ce programme de recherche, financé par le Labex Structuration des Mondes Sociaux (SMS), de l’Université Toulouse Jean Jaurès. Il y a donc un financement local.
L’idée de ce programme de recherche est de questionner les relations entre tourisme et alimentation du point de vue des agriculteurs ouvrant leurs exploitations au tourisme. Nous sommes sur des questions agritouristiques : comment et pourquoi les exploitations agricoles se diversifient-elles aujourd’hui ? Comment proposent-elles des offres qui semble-t-il sont en adéquation avec une mutation sociale, une demande sociale aujourd’hui d’actualité ? En quoi l’alimentation devient un levier de diversification agricole et en quoi répond elle à une demande citadine touristique ? Nous travaillons du côté des agriculteurs et étudions la manière dont ils opèrent des stratégies de développement, à partir de la composante alimentaire, au sein même de leur activité agricole, activité première, et comment ils déploient de nouvelles stratégies au service du tourisme. Le deuxième volet de ce programme, qui est aujourd’hui en cours, est une recherche qui s’intéresse plus particulièrement aux touristes. Nous avons une stagiaire qui travaille durant 6 mois à la mise en place d’une enquête quantitative auprès des « touristes mangeurs » : qui sont ces touristes qui se déplacent sur les exploitations agricoles ? Quels imaginaires émanent de leur expérience agritouristique ? Nous allons essayer de comprendre et d’expliquer les comportements touristiques alimentaires sur les exploitations agricoles. L’objectif de ce programme de recherche est de comprendre les modes de sociabilités, les modes de mise en dialogue entre populations agricoles et non-agricoles autour des patrimoines alimentaires.
Pour des questions de facilité géographique nous avons choisi l’Occitanie ou plutôt le Sud-Ouest comme terrain d’étude ; nous enquêtons auprès d’exploitations agritouristiques situées essentiellement dans les départements limitrophes ruraux de la Haute-Garonne. Nous avons donc pour terrain la Haute Garonne, l’Ariège, le Gers, l’Aveyron, et les Hautes-Pyrénées. Nous étudions des formes d’offres agritouristiques très différenciées et plurielles : ventes à la ferme, goûters à la ferme, tables d’hôtes, fermes auberges etc.

Concernant le questionnaire, nous souhaitons dans la mesure du possible qu’il soit lancé en présentiel : directement sur les exploitations agricoles avec des questionnaires administrés en face à face. Nous espérons que le présentiel soit possible dès le mois de juin, mais il y aura nécessairement un complément en ligne avec les difficultés que nous connaissons actuellement. Nous essayons de créer un outil qui soit accessible via les deux canaux… tant en présentiel qu’en distanciel.
C’est un programme de longue haleine.
Oui c’est un programme de longue haleine. Nous avons déjà réalisé la première collecte de données auprès des agriculteurs, qui ont déjà donné lieu à plusieurs publications.
Du point de vue méthodologique, nous avons réalisé des entretiens qualitatifs et approfondis auprès des agriculteurs pratiquant l’agritourisme : nous les avons interrogés sur les modes de diversification, les raisons, les motivations, les choix, et la manière (aujourd’hui) de penser l’alimentaire et le patrimoine au service des populations qu’elles soient agricoles ou non agricoles. Cette enquête se veut compréhensive et approfondie ; elle donne la parole aux agriculteurs pour connaître en quelque sorte leurs rationalités. En revanche, l’enquête auprès des touristes ne pouvait se faire que par questionnaires et à l’aide d’ outils plus quantitatifs même si nous prévoyons de faire des entretiens approfondis cet été auprès de quelques uns.
Ce programme de recherche se terminera en 2022 – nous sommes actuellement dans la deuxième phase de collecte de données quantitatives auprès des touristes – et donnera lieu, nous l’espérons, à un colloque ou des journées d’étude qui participeront à la diffusion des résultats.
Qu’en est-il de votre second programme de recherche ?
L’autre programme de recherche est un programme à l’international qui a été monté grâce à un partenariat Hubert Curien, NUSANTARA (coopération France Indonésie) : projet financé par le Ministère des Affaires Etrangères (MAE) qui encourage la coopération et la recherche franco-indonésienne. Pourquoi avoir candidaté et travaillé avec ce partenariat MAE France-Indonésie ?
D’abord, parce que l’ISTHIA a amorcé un partenariat il y a quelques années avec l’université d’Udayana à Bali, qui est une université située au sud de l’île et qui propose des formations en Tourisme. L’ISTHIA développe des partenariats avec l’Asie depuis de nombreuses années, tant au niveau de la recherche qu’au niveau pédagogique (codiplomation), notamment avec la Malaisie, et le Taylor’s University à Kuala Lumpur depuis 1999. D’autres conventions de partenariats ont été passées avec d’autres universités asiatiques ; prise de contact, amorçage de partenariat avec l’université d’Udayana et nous avons tissé des liens très intéressants tant sur la question pédagogique, et celle des formations (car à Bali il y a essentiellement de la formation à Bac+1, Bac+2 voire Bac+3) que sur les thématiques de recherche comme celles du tourisme et du développement ou celle des cultures alimentaires. L’idée de départ était de mettre en place plusieurs formes de partenariats : échange d’enseignants, d’étudiants et montage de projet de recherche commun ; ainsi une convention a été signée avec l’université d’Udayana et nous avons effectué plusieurs missions qui nous ont permis d’initier nos recherches actuelles.
Nous avons répondu à un appel d’offre sur la recherche franco-indonésienne dans le cadre du programme Hubert Curien et avons obtenu un financement sur 2 ans. Deux missions ont pu être effectuées en 2019 sur le terrain à Bali ; nous avons pu recevoir à Toulouse à 2 reprises nos collègues Balinais.
La difficulté actuelle est le report de nos missions en raison de la crise sanitaire. Nous devions partir de nouveau en 2020, pour de la collecte de données et bien entendu cela n’a pas été possible. Pour 2021, cela me parait compromis également… nous allons voir et croisons les doigts !
Notre objectif est d’inventorier les cultures alimentaires balinaises en vue de penser un développement disons plus « durable », un développement plus harmonieux, plus raisonné du point de vue touristique. Nous avons posé l’hypothèse que les cultures alimentaires, pouvaient être des leviers, des moteurs contribuant à la mise en adéquation entre les ressources du territoire et la demande touristique .

Nous le savons tous : Bali fait partie des plus grandes destinations touristiques au monde. C’est une île qui aujourd’hui est extrêmement « touristifiée », développée et massifiée et en même temps c’est une île qui garde un très fort intérêt en matière de cultures locales. C’est un territoire extrêmement intéressant du point de vue de ses dimensions religieuses, paysagères, agricoles, environnementales au sens large. Il y a peut-être quelque part une rencontre qui ne se fait pas suffisamment entre ces ressources patrimoniales, locales extrêmement denses et riches et un tourisme massifié pris en charge pour une grande partie, par les opérateurs internationaux.
Nous sommes au cœur des problématiques actuelles liées au tourisme de masse, et à la gestion d’un développement touristique plus raisonné. Nous sommes intervenus en proposant une nouvelle approche basée sur un développement touristique plus durable fondé sur des cultures alimentaires spécifiques ; ces dernières apparaissent comme des nouvelles composantes associées à l’univers agricoles jusque là peu valorisé à Bali ; aussi notre projet met à l’honneur l’agriculture, l’artisanat local, les paysages, et l’agroalimentaire local. Nous avons réalisé deux missions pour la collecte de données. Il nous en manque encore bien sûr. Les choses vont moins vite qu’une recherche sur terrain Français où il n’y a pas la barrière de la langue, où les réseaux et les partenariats sont déjà en place, sans à priori trop de souci de mobilité. Un terrain à Bali est bien plus exotique mais certainement bien plus complexe… Lors d’une première mission nous avons pu explorer de manière assez distanciée, prendre contact, monter les premiers partenariats, repérer les principaux enjeux. Lors de la deuxième mission, nous avons commencé une enquête qualitative assez dense auprès d’une trentaine d’acteurs sociaux-professionnels locaux. Nous avons interrogé des agriculteurs, des populations locales, des prestataires touristiques, pour voir comment la réintégration des ressources agricoles et alimentaires pouvait être possible dans l’univers du tourisme. Nous sommes au stade de l’inventaire et des premières analyses et questionnons la manière dont l’alimentation – qui est très différente de la nôtre – et les cultures alimentaires balinaises pourraient être de vrais leviers de développement alors qu’elles ont été mises de côté pendant très longtemps. Aujourd’hui l’alimentation balinaise s’adresse principalement aux balinais de souche ; elle n’est pas ou peu proposée à priori, aux touristes ou bien elle se limite à un type de touristes en particulier. L’idée est ainsi de réintégrer la culture alimentaire locale comme une voie de développement possible, nouvelle et plus durable pour le territoire.
Comment se fait cet inventaire ?
Il bénéficie de l’effet boule de neige ! Nous avons repéré plusieurs produits ou plats emblématiques locaux, comme le riz et le café, mais aussi le cochon grillé, le nasi goreng. A partir de plats et de produits emblématiques locaux nous sommes remontés sur d’autres plats ou d’autres produits alimentaires, complexes et disons plus annexes et moins emblématiques.

Nous avons réalisé des fiches « produits », incluant à chaque fois l’origine de la recette, l’origine du produit, son histoire, ses usages actuels et passés, le type d’ancrage territorial (s’il en existe un), la région d’origine de production du produit ou de la ressource, le savoir-faire lié, les consommateurs du produit, les lieux de commercialisation…etc.
Nous avons construit un certain nombre d’items, qui nous ont permis de constituer cet inventaire. Cet inventaire n’est pas exhaustif mais l’idée finale n’est pas nécessairement de faire de l’exhaustif mais de faire ressortir l’importance et la solidité d’un patrimoine alimentaire qui ait du sens aussi pour les balinais. Il peut permettre aux balinais de se rendre compte qu’il y a des éléments dont ils ne se saisissent peut-être pas suffisamment pour construire (peut-être) une dynamique de développement touristique qui leur appartiendrait. Je dirais que c’est un travail de prise de conscience et d’appropriation renforcée d’une culture qui parfois a tendance à se déplacer…
Comment vous a aidé votre partenaire sur place (l’université d’Udayana) ?
Ce programme de recherche permet de créer du lien entre chercheurs indonésiens et français : mobilités enseignantes, conférences communes et organisations de séminaires, entretiens communs et aide à la traduction. Deux chercheurs balinais travaillent étroitement avec nous et ont pu venir en France. Des étudiants balinais, nous ont également accompagnés dans nos enquêtes sur place.
Pour le moment, tout est à l’arrêt y compris à Bali, il n’y a pas de touriste, ce qui pose d’autres questions. Les dynamiques de recherche et les partenariats internationaux sont pour l’instant stoppés.
Envisagez-vous de retourner sur place pour vos enquêtes ?
Nous avions prévu une autre mission, nous allions voir si c’était la dernière ou l’avant dernière. Nous souhaitons organiser un colloque sur place car l’idée est de partager les connaissances et les résultats produits de manière à mobiliser les tissus sociaux locaux et valoriser les ressources locales pour soutenir des projets de développement.
L’idée d’un colloque, d’un évènementiel de valorisation, est toujours d’actualité mais nous ne savons pas quand. Nous souhaitons y retourner soit pour continuer les enquêtes, soit pour monter un évènementiel de valorisation ouvert au tissu socio-économique et principalement aux personnes rencontrées.
C’est un objet de recherche y compris à l’international qui a beaucoup de sens. De nombreuses destinations touristiques sont aujourd’hui en quête d’accompagnement pour promouvoir et développer un « tourisme autrement » basé sur des ressources spécifiques et territoriales.
Pouvez-vous nous parler de l’ISTHIA et du Master que vous coordonnez ?
A l’ISTHIA il y a plusieurs Masters. Je coordonne le Master Tourisme parcours Tourisme et Développement. Ce Master forme les étudiants aux professions et aux métiers très vastes que sont les métiers du développement et du tourisme au sens large.
Dans ce master, nous essayons de sensibiliser les étudiants à la question du montage de projet, de l’ingénierie de projet touristique en lien avec les questions territoriales. Nous ne sommes pas dans du montage de projet touristique classique mais plutôt dans du montage de projet territorial en passant – pourquoi pas – par le tourisme.
Nous voulons montrer à nos étudiants que le tourisme ne doit pas être appréhendé comme un résultat mais plutôt comme un moyen, un moteur, au service de l’équilibre des territoires. Le tourisme va produire du développement, de la valeur ajoutée, de l’avantage économique, social, culturel, environnemental s’il est intégré dans le projet territorial et s’il est approprié, accepté, géré par les populations locales.
Notre master est pluridisciplinaire : il intègre la sociologie, l’économie, la géographie, l’aménagement, le droit, les sciences de gestion, le marketing. Mais, il y a un certain nombre d’enseignements beaucoup plus professionnalisants et plus opérationnels : autour du diagnostic de territoire, du financement de projet de territoire, de l’ingénierie et du montage de projet, de la gestion de projet, de l’ingénierie culturelle ou des « ateliers terrain » qui permettent à l’étudiant de se mettre en situation et de nouer des partenariats professionnels.
Ces compétences sont actuellement très demandées par les employeurs.
Oui. Je pense qu’il y a un élan, d’autant plus aujourd’hui, vers la prise en compte des besoins de territoires en lien avec un tourisme de proximité. Aujourd’hui, les collectivités, les acteurs publics mais aussi les acteurs privés sur les territoires ruraux, de montagne, du littoral s’interrogent sur la manière dont ils peuvent monter un nouveau projet qui leur permettra d’attirer de nouvelles populations qui n’avaient pas l’habitude de venir chez eux jusqu’alors.
Tous nos étudiants ont trouvé des stages cette année dans un contexte pourtant extrêmement difficile en raison de la crise sanitaire ; les offres étaient nombreuses. On sent aujourd’hui que certaines collectivités ou structures se remettent en question et – heureusement d’ailleurs ou peut-être malheureusement pour certaines – et essayent de trouver de nouvelles voies alternatives de développement. C’est là où nos étudiants ont toute leur place. Ils interviennent dans la prise de décision et dans la construction de nouvelles stratégies possibles pour un développement raisonné par et pour le tourisme.
Le Master se réalise en deux ans, avec une première année qui donne lieu à un stage de trois mois et ensuite à une deuxième année avec un stage de six mois qui ponctue et clôture le Master avec une soutenance de mémoire professionnel en septembre. Certains étudiants donnent une coloration « recherche » à leur mémoire car ils font leur stage dans un laboratoire de recherche, mais les mémoires professionnels sont les plus nombreux. D’ailleurs se sont ces mémoires là qui font l’objet du concours AsTRES que nous lançons à nouveau cette année.
L’autre particularité de ce master est qu’il se trouve à Foix sur un campus délocalisé de l’université Toulouse Jean Jaurès. Nous sommes à une heure de Toulouse, aux pieds des montagnes, en Ariège. Le campus rassemble 3 pôles : l’ISTHIA, l’INSPE et le département de géographie aménagement avec plus de 400 étudiants au total. Le Master Tourisme et Développement accueille au total 50 étudiants chaque année. Nous sommes sur un site qui est un peu à l’image de ce que l’on enseigne c’est-à-dire un tourisme plus diffus, un slow tourisme ou un tourisme alternatif, dans un site qui respire la nature et la quiétude ! En général les étudiants sont ravis car ils font le choix de venir, en ayant un certain nombre de convictions et une démarche d’apprentissage déterminée et motivée.
Articles en lien avec les programmes de recherche menés par Jacinthe Bessière
Articles :
- Bessière J., Annes A., 2020, « L’agritourisme ou la production de lien social entre population agricole et non-agricole », in M. Pouzenc, B.Charlery de la Masselière (dir.), Etudier les ruralités contemporaines, PUM, Mai, pp.275-287.
- Bessière J., Annes A., 2019, «Agricultrices et agriculteurs en transition : l’accueil à la ferme, voie de diversification agricole et alimentaire». In MC Zélem, G Carrère, C Dumat, Dans la fabrique des transitions écologiques : Permanence et changements. ISBN 978-2-343-15110-6, l’Harmattan, octobre, pp. 231-258, lien
- Bessière J., Annes A., 2018, « L’alimentation au cœur des sociabilités ville-campagne», AOF Anthropology of food, lien