Épisode 10, Jean-Michel Chapuis

Qui est Jean-Michel Chapuis ?

Je suis opérateur de tourisme éducatif ou opérateur touristique de l’éducation ! Au choix !

Ma mission est d’accompagner la performance des acteurs de l’enseignement supérieur et de la recherche en matière de connaissance en tourisme. Je privilégie trois voies :

  • Créer et transmettre de la connaissance sur les systèmes touristiques
  • Animer la pédagogie de formations en tourisme et en piloter leur gestion
  • Renforcer les compétences des talents du secteur en insufflant une dynamique dans les réseaux professionnels, en particulier les anciens étudiants en hôtellerie

Mon parcours de maître de conférences en sciences de gestion, habilité à diriger des recherches (HDR), résulte d’un choix initial, lié à mon expérience managériale de chef d’entreprise ainsi qu’à mes recherches scientifiques qui m’ont permis de fonder mes bases théoriques pour répondre aux sollicitations des institutions académiques.

De quelle manière s’est affinée votre sensibilité touristique ?

Bizarrement, par l’immobilité, partout dans le monde. Entrepreneur dans l’artisanat, ma curiosité était plutôt orientée vers l’organisation commerciale de l’accueil. Alors, lorsque j’ai reçu la proposition de Mathieu Paquerot à l’Université de La Rochelle d’animer une formation en hôtellerie internationale – ce qui s’avérera une constance tout au long de mon parcours professionnel – j’ai saisi l’opportunité de continuer à apprendre.

Évidemment, quelques hôteliers dans les palaces parisiens m’ont permis de mettre le pied à l’étrier, en particulier Jean-Pierre Soutric au Georges V. De nombreux autres hôteliers, comme Fabrice Tessier chez Accor, et travers le monde m’ont ouvert leurs portes par la suite. Et puis, on est vite attiré par l’autre côté du voyage : le point d’origine des touristes. Une chance de cette industrie est d’offrir la possibilité d’exercer n’importe où dans le monde. Donc l’hospitalité dans le tourisme est très vite devenue le fil rouge de mon parcours.

Votre parcours d’enseignant-chercheur n’a pas été monotone ?

Il y a plusieurs choses importantes dans la vie d’un chercheur. La thèse de doctorat a été un vrai marqueur pour moi. D’autant plus que j’avais créé mon entreprise au même moment, ce qui m’a permis d’entrer dans le monde professionnel tout en me permettant de financer ma thèse. Même si les horizons de temps entre la vie de manager et celle de scientifique sont diamétralement opposés, je suis marqué depuis lors par un fort besoin d’appréhender la science de gestion dans l’ensemble de ses disciplines et par un goût prononcé pour assumer des fonctions managériales dans l’enseignement supérieur et le pilotage de formations.

Quelles sont vos principales thématiques de recherche ?

J’ai préparé puis soutenu en 2002, une thèse sur les Politique (s) de financement et fluctuations économiques : une application des théoriques organisationnelles au marché français. J’étais dirigé et encadré par le Prof. Gérard Charreaux (Professeur émérite à l’Université de Dijon), l’un des pionniers de la recherche en gouvernance en France. Je lui suis reconnaissant de m’avoir contraint à la rigueur scientifique ! Sous la caution en 2014 du Prof. Jean-Yves Duyck, la contribution de l’Habilitation à Diriger des Recherches était de montrer l’importance d’une logique de marché dans le marketing des services. Reflet de mon parcours, la thèse et l’HDR sont réalisées dans des disciplines différents : la Finance et le Marketing.

J’ai développé mes activités de recherche en publiant, en français et en anglais, dans des revues et des conférences internationales à comité de lecture. Mes publications traitent soit de la dynamique des prix des produits touristiques soit de la performance des organisations du secteur. La particularité de ce travail réside dans l’association de deux démarches, l’une à caractère qualitatif et théorique : les théories contractuelles des organisations ; l’autre à caractère quantitatif : la recherche opérationnelle. L’association des deux démarches est très fertile afin d’explorer les problématiques de l’architecture organisationnelle dans une optique d’aide à la décision, en particulier dans le tourisme.

Le revenue management, qui émergeait dans les entreprises touristiques en France au début de ma carrière, m’est apparu comme un champ pertinent de connaissance et d’action lorsque je me suis intéressé au tourisme. Avec la maîtrise des méthodes de tarification, de l’optimisation de chiffres d’affaires des produits touristiques, j’essaie de répondre aux questions suivantes :  comment obtenir une allocation efficiente en adaptant le prix des produits touristiques ? Une chambre dans un hôtel, un siège dans un avion ou un train, une voiture de location, un espace dans un musée, un parcours dans ou la protection d’un site touristique ? Mes travaux en marketing portent sur la perception des consommateurs face aux politiques de prix, l’impact sur la fidélisation client par exemple, ou la gouvernance des réseaux de distribution. 

En supervisant plusieurs doctorant.e.s, je me suis penché sur les problématiques liées aux digital, notamment celles des influenceurs sociaux en liaison avec les images des destinations et la manière dont les entreprises hôtelières répondent aux touristes sur Internet. Depuis quelques années, j’ai investi le champ du tourisme médical, de la perception de l’activité touristique par les résidents ou du tourisme éducatif. Dans cette dernière thématique, nous développons des connaissances pour les gestionnaires de destination touristique à appréhender les postures des étudiant.e.s à être des touristes lorsqu’ils sont en voyage d’études. Le Prof. Philippe Bachimon et moi codirigeons une thèse inspirante sur l’importance des résidences secondaires sur l’habitat dans les destinations touristiques.

Reflétant mes expériences managériales, j’apprécie le côté éclectique de la recherche en tourisme. Je tente de privilégier les ponts plutôt que les berges, des approches comme la Théorie Positive de l’Agence où la Théorie des Coûts de Transaction (1). J’ai une approche du tourisme relativement large, couvrant la mobilité, l’accueil marchand et l’hospitalité.

(1= Jensen, M.C & Meckling, W.H., 1976, Theory of the firm: Managerial behavior, agency costs and ownership structure, Journal of Financial Economics; Coase, R., 1937, The nature of the firm)

À ce propos, le tourisme n’est pas très facile à définir ?

Non assurément, mais c’est sûrement ce qui fait sa richesse. Le dernier ouvrage codirigé par Marie Delaplace, Boualem Kadri, Alain A. Grenier et Yann Roche, Vocabulaire du discours touristique montre bien cette pluralité des perspectives et des approches touristiques. J’envisage le tourisme comme un champ global. L’IREST – un des membres fondateurs du réseau AsTRES – reflète bien cela. C’est un institut pluridisciplinaire qui regroupe des géographes, des urbanistes, des économistes, des gestionnaires, etc. J’ai le sentiment que la poursuite d’une définition sur le plan théorique du tourisme est une ressource utilisée à mauvais escient. Même s’il est évident que c’est une étape vers une Science en Tourisme (2), sa polymorphie n’empêche pas la production de connaissances et l’enseignement. Une des choses que nous, scientifiques en tourisme, faisons (bien), c’est montrer qu’il y a des ponts et des combinaisons uniques de beaucoup d’éléments différents.

(2 = Jafar, J, 2001, Thé scientification of Tourism, In Host & Guests revisited: Tourism Issues of the 21st century)

Quel est précisément le rôle des doctorant.e.s dans vos recherches ?

Un caractère des cadres conceptuels visant à comprendre le monde touristique est qu’ils s’y confrontent. La formation à la recherche par la recherche des étudiant.e.s. en doctorat permet ainsi d’étendre la zone d’étude d’un programme scientifique. Pour tout vous dire, je travaille directement en binôme avec les doctorant.e.s, parfois avec les étudiant.e.s de Master. Ils nous apportent un reflet du terrain dont nous sommes quelques fois éloignés comme enseignant. J’ai une manière particulière de personnaliser mes relations avec mes étudiant.e.s. Par exemple, je commence par leur demander ce qu’ils veulent montrer professionnellement, démontrer scientifiquement. Êtes-vous d’accord avec ce que d’autres ont conclu sur le sujet ? Non, et bien la thèse commence ! Ma contribution est plus significative en accompagnant les doctorants qu’en les poussant sur un sujet en dehors de leur centre d’intérêt.

Vos cours reflètent-ils votre parcours ou vos recherches ?

Oui très certainement ! Ma curiosité intellectuelle et mon parcours professionnel et international font que j’enseigne dans trois domaines assez variés.

  • Les thématiques du revenue management et du marketing des services (études marketing, gestion de la qualité, etc…) restent mon cœur de métier
  • Mais j’adore enseigner la gestion de projet : un mode agile d’organisation dans lequel on va mixer de l’entrepreneuriat, du contrôle et de la stratégie
  • La finance internationale est une compétence majeure, pour les futurs managers qui vont travailler dans le tourisme. On le voit aujourd’hui avec les bouleversements géopolitiques en cours et la fluctuation des taux de change

D’ailleurs beaucoup de mes collègues de gestion ont du mal à me catégoriser. Les enseignements dépendent des besoins des bassins d’emplois auxquelles chaque université est attachée ; des enjeux du moment aussi. Les problématiques sociétales des organisations du tourisme évoluent. Pour le moment, on parle davantage des ressources humaines.

Si le tourisme est difficile à définir, les connaissances et les compétences à mobiliser sont assez évidentes. La variété des enseignements permet de montrer aux étudiant.e.s que même si « tout n’est pas dans tout », les choses sont quand même reliées. Il ne s’agit pas d’être « que » comptable, « que » guide touristique, « que » médiateur dans un musée : les étudiant.e.s vont soutenir différentes entreprises, exercer différents métiers, tout au long de leur vie. Il faut donc faire appel à différents types de connaissances et différents types de compétences.

On dit de vous que vous êtes globe-trotteur, voire mercenaire dans les formations en tourisme. C’est vrai ?

En 1999 j’étais ATER (Attaché temporaire d’enseignement et de recherche) à l’Institut de gestion de l’Université de La Rochelle, aujourd’hui l’IAE La Rochelle École universitaire de management – membre d’AsTRES. J’ai animé pendant 4 ans la MST en hôtellerie internationale avant qu’elle ne soit absorbéé dans le Master Marketing avec la réforme LMD.

C’est à ce moment-là que j’ai profité de l’opportunité d’aller enseigner dans une université américaine installée au Moyen-Orient, à Doha (Qatar). Ma responsabilité de responsable de la 4éme année de Bachelor Tourism m’a offert l’occasion de parfaire mon anglais et de découvrir d’autres cultures.

Lorsque s’offre à moi la possibilité d’exercer en Polynésie française, je suis aussitôt séduit par les opportunités à l’international et surtout les possibilités de mettre à l’épreuve mon expérience dans un domaine où tout semble encore à faire, du moins à entreprendre, les connaissances en tourisme en océanie. Maître de conférences à l’Université de Polynésie française (UPF) – membre de AsTRES -, à Papeete, je crée avec Jean-Claude Oulé et j’anime la pédagogie d’une licence professionnelle en gestion des hôtels de loisirs, une première en France !

En outre j’ai eu la chance d’accompagner le développement de l’Université en tant que co-directeur du département Droit-Économie-Gestion (1000 étudiants, 20 enseignants permanents) puis comme élu au conseil d’administration de l’UPF pendant quelques années. La Polynésie est un monde touristique et éducatif à part. C’est une mission que j’ai retrouvée plus tard à Paris, en accompagnant quelques temps une école de gastronomie comme Directeur Académique & Recherche (40 enseignants et près de 500 étudiants) à l’invitation de Victor Gervasoni. 

Intégrer en 2012 une équipe d’enseignants-chercheur en Sorbonne était pour moi l’occasion de décupler mes activités de recherche en tourisme et de préparer mon Habilitation à Diriger des Recherches, soutenue début 2014. J’ai mis à profit la dynamique du changement d’environnement académique et professionnel. Je suis devenu responsable du Master Gestion des activités touristiques et hôtelières (GATH) et d’autres formations de l’IREST en France et à l’étranger. 

J’ai également eu la chance d’animer le Conseil Sectoriel National du Tourisme mis en place par la DGESIP (Direction générale de l’enseignement supérieur et de l’insertion professionnelle), qui dépend du Ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation, de 2017 à 2019 – une instance de pré-configuration de la CFET (Conférence des Formations d’Excellence en Tourisme). Nous avions en charge d’optimiser le lien entre les formations en tourisme aux emplois dans l’industrie. A ce titre, je suis intervenu dans la création de plusieurs programmes de Bachelor ou de MSc Hospitality & Tourism Management dont celui de Paris School of Business avec Armand Derhy.

Sur vingt-quatre ans de carrière, cela fait donc la création et l’animation d’une formation licence ou master en tourisme tous les 2 ou 3 ans ! Une fois que vous entrez dans l’éducation du tourisme, vous y restez !

Au-delà des cours, quelles relations entretenez-vous avec les étudiant.e.s ?

En reflet du tourisme lui-même, le Sup en tourisme est très déconcentré, local avec un marché international. Au total des métiers assez peu attractifs (pas encore !), donc les amphis accueillent des promotions de taille raisonnable. Cela permet une proximité entre les professeurs et les étudiants dans la plupart des cas. Dans les métiers de l’hospitalité, les relations entre individus demeurent très importantes.

Je consacre facilement une demi-journée à une journée de travail par semaine à assurer les connexions avec les étudiants – les alumni – et les professionnels. Bref l’animation du réseau des anciens. Je contacte régulièrement des personnes avec qui j’ai collaboré il y a 15 ou 20 ans, demandez-leur ! Je n’hésite pas à associer les étudiants dans les événements de la profession ou des alumni, voire de collaborer directement avec eux, comme Benjamin Chevalier par exemple. Cette dimension humaine et la proximité sont au cœur de notre métier. La mobilité des personnes et la constance des relations.

Ainsi, je prends le temps, au moment des entretiens et des recrutements, de sonder la personne que j’ai en face de moi pour prendre des nouvelles de telle ou telle personne. Avec les années, j’ai construit un réseau efficace d’anciens : sachant que je rencontre entre cinq cents et mille étudiant.e.s par an et que deux à trois cents d’entre eux restent en contact… 

C’est surtout l’expression de la valorisation d’un volet de notre métier, nous sommes au service de la société, en optimisant les connaissances et les compétences des uns avec les besoins des autres. Qui plus est, ces relations m’apportent de l’information « fraîche » sur les entreprises, sur ce qui se passe sur le terrain, et donc du contenu pour les cours et des données pour la recherche. C’est une des dimensions du métier d’enseignant-chercheur que d’être en phase avec son environnement.

Selon vous, quelle (s) évolution (s) le tourisme va-t-il subir ces prochaines années ?

À partir des tendances de fond concernant le tourisme – usages des ressources naturelles, géopolitique, technologie, etc. – il est possible de voir apparaître quelques mutations dans l’enseignement et la recherche en tourisme. 

D’abord un renforcement des recherches & enseignements sur l’efficience des ressources par le tourisme

Je ne pense pas que le tourisme international disparaisse puisque la mobilité reste ancrée dans l’ADN humain. L’humain s’étant toujours déplacé, il le fera encore, vraisemblablement pas comme dans le siècle dernier. Les générations actuelles d’apprenants semblent vouloir renforcer les activités plus économes en ressources naturelles. Conséquemment en matière de recherche, les problématiques sur l’évaluation des prix des ressources ou des formes organisationnelles durables devraient venir sur le sommaire des revues scientifiques. Dès lors, on peut s’attendre au développement de l’accueil/hospitalité au détriment de la mobilité si les déplacements sont limités.

Ensuite sur la dichotomie tourisme/mobilité et tourisme/accueil dans le compétences

On peut donc travailler dans le tourisme sans bouger. Je pense aux employés dans les hôtels et les destinations. C’est ici que le terme d’hospitalité prend son sens et s’impose avec force comme un concept majeur. On apprend à accueillir, avec des compétences de savoir-être. L’hospitalité se retrouve ailleurs, pas uniquement dans le champ du tourisme : ce sont des compétences qui sont très valorisées dans le commerce ou les autres services. C’est en même temps une solution et un problème. Cela attire des personnes sensibles à ces métiers, sensibles aux relations interpersonnelles. Mais c’est également une des raisons pour lesquelles ces personnes trouvent à s’employer en dehors du tourisme ce qui ne résout pas les problèmes de l’industrie touristique française. Plus globalement, les étudiant.e.s d’ aujourd’hui n’hésitent pas/plus à changer d’entreprise voire de métier. Ils prennent des CDI comme une période déterminée. Je crois que la phrase « je change de job la semaine prochaine » est celle que j’entends le plus souvent depuis plusieurs mois.

Enfin sur le côté digital des connaissances

Son impact est réel dans l’industrie – et ancien, les GDS (Global Distribution System) utilisaient dès les années 1960 les ordinateurs dans le tourisme. Je suis toujours surpris par le décalage entre les perceptions que l’on a des digital natives et leurs performances dans les activités liées au numérique, telles que nous pouvons les observer dans les cours. Certes, il faut du temps pour acquérir les compétences numériques. N’en ayant pas encore vu l’intérêt, ils n’ont pas eu besoin d’en saisir les usages, et ont souvent une méconnaissance des acteurs.

Pour terminer sur une note positive, la mission d’AsTRES – depuis 12 ans ! – est vraiment fondamentale dans notre métier et pour nos institutions universitaires.

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